L’avenir de la ville repose sur l’intelligence de ses habitants


le Vendredi 9 Décembre 2022 à 11:45

Contrairement à une idée reçue la « smart city » n’est pas celle qui se développe à grand renfort de technologie. Les moyens numériques dont disposent aujourd’hui les gestionnaires des villes ne sont que des outils, lesquels ont peu de chance d’améliorer le quotidien des habitants si ces derniers ne contribuent pas, chacun à leur niveau, au développement harmonieux de leur cité. L’ingénieur Philippe Bihouix qui conduit une réflexion critique sur les technologies et la transition énergétique, l’explique très bien dans GoodPlanet Mag


Les habitants peuvent s’intéresser aux projets qui sortent et qui ne sortent pas autour d’eux, s’impliquer dans les enquêtes publiques, dans les révisions des plans locaux d’urbanisme...  (photo d'illustration Adobe Stock)
Les habitants peuvent s’intéresser aux projets qui sortent et qui ne sortent pas autour d’eux, s’impliquer dans les enquêtes publiques, dans les révisions des plans locaux d’urbanisme... (photo d'illustration Adobe Stock)
La vraie ville « smart », c’est celle qui repose avant tout sur l’intelligence de ses habitants ». C’est la phrase choc qui résume le regard que porte l’ingénieur Philippe BIHOUIX dans son dernier ouvrage : « La ville stationnaire. Comment mettre fin à l’étalement urbain ». Rédigé avec Sophie Jeantet et Clémence de Selva, cet ouvrage aborde la question de la ville en expliquant notamment comment lutter contre l’artificialisation des sols, un enjeu environnemental majeur selon l’auteur, trop souvent négligé ou mal compris. 
 
Dans cet entretien accordé à notre confrère GoodPlanet Mag, Philippe BIHOUIX revient sur la densification, sur les smart cities et sur ce à quoi pourrait ressembler la ville de demain.
 
« Depuis une décennie, il y a une montée en puissance de la question de l’étalement urbain et de l’artificialisation des sols, qui concerne principalement les terres agricoles », explique l’auteur. Si la puissance la puissance publique en a conscience, puisqu’elle l’intègre dans la loi Climat et résilience de 2021, avec un objectif de Zéro Artificialisation Nette (ZAN), sur le terrain on en est encore loin. 
 
« Ce livre est l’occasion de faire le point sur la « durabilité » des villes, pas seulement sur l’utilisation des sols, mais aussi sur leur consommation de ressources et d’énergie », poursuit l’auteur. Pour ce dernier, « si le Zéro Artificialisation Nette est un objectif louable, il sera très difficile à mettre en œuvre et à atteindre si on n’agit pas sur d’autres paramètres que la simple occupation au sol du bâti et des infrastructures ».
 
Selon Philippe BIHOUIX, on artificialise aujourd’hui environ 20 à 30 000 hectares de terrain par an pour y construire des logements, des équipements collectifs, des lieux d’activité économique, tels que des centres commerciaux, des data centers, des entrepôts logistiques, mais aussi des activités agricoles intensives. « Même si le rythme a ralenti, il est assez rapide puisqu’il équivaut à un petit département artificialisé tous les 15 à 20 ans. Une telle progression n’est pas soutenable sur le long terme ».
 
« On artificialise les sols deux à quatre fois plus vite que l’augmentation de la population », continue l’auteur, en constatant que pour un habitant de plus, on construit deux logements, pour anticiper les besoins et permettre une réduction des coûts. Mais aussi pour accélérer la démarche de métropolisation qui consiste à vider les petites villes et les campagnes. Pour Philippe BIHOUIX : « La métropolisation crée des inégalités supplémentaires en faisant monter les prix. »
 

Densifier ou pas. Quel avenir pour la ville de demain ?

« Il faut se montrer très prudent avec des affirmations sur « la ville », soutient l’auteur. Avec la facilité d’accès et les moyens de transports, notamment collectifs qui se sont développés, les villes deviennent de plus en plus attractives. « Elles permettent de faire carrière ou des études, de faire des rencontres et de vivre de nombreuses expériences. Je pense qu’aujourd’hui il y a autant d’envies de villes que de trajets de vie ». 
 
Et de poursuivre : « Il y a des moments dans l’existence où on peut avoir envie d’être au cœur d’une métropole trépidante, puis d’autres où on recherche du calme ou un cadre de vie plus vert pour élever ses enfants. On peut ensuite désirer revenir en ville pour moins se déplacer moins et y retrouver toutes les facilités apportées par l’accès aux services de santé ou aux commerces de proximité ». La ville doit se construire avec ces mutations sociales, pas contre elles.  
 
Pour l’auteur et ceux qui ont collaboré à l’écriture de cet ouvrage, « les métropoles deviennent des repoussoirs en grossissant trop et trop vite. » D’autant que contrairement à ce qu’avance certains, malgré les aménagements mis en place, notamment en matière de mobilité et d’espace vert, la ville telle qu’on l’aménage aujourd’hui est loin d’être écologique. Et la technologie n’y contribuera pas, bien au contraire, car elle nécessite toujours plus de ressources. Et ce ne sont les quelques espaces verts installés autour des datacenters, sur les façades et les balcons des immeubles, qui rendront la ville plus verte.
 
A ce titre, l’auteur rappelle que la notion Smart City, dans laquelle certains élus voient la solution aux problèmes qu’ils doivent résoudre, est pour l’heure une utopie. « En matière d’urbanisme durable, il faut faire avec le déjà-là et non miser sur l’utopie », martèle l’auteur. « En Europe, 80 ou 90 % des villes de 2050 sont déjà construits, ce qui rend la smart city un peu trop théorique, difficilement déployable. Même si on fait sortir de terre des bâtiments neufs aux performances exceptionnelles, ce sera totalement insuffisant. Il faut se concentrer sur de la réhabilitation ».
 

Les habitants doivent s’impliquer dans la vie politique et sociale de leur ville

Pour Philippe BIHOUIX, la vraie ville « smart », c’est celle qui repose avant tout sur l’intelligence de ses habitants et non pas sur « l’intelligence » artificielle des machines. « Pour améliorer les villes ou les rendre plus écologiques, les innovations technologiques peuvent avoir un rôle à jouer, mais les solutions sont globalement sociotechniques, elles embarquent l’évolution des usages, des comportements ». Pour l’auteur, « ignorer l’humain serait une erreur. On court le risque que les gains d’efficacité ne servent pas à réduire les impacts, mais à faire toujours plus ». 
 
Si la technologie n’est pas la panacée, pourquoi ne pas tourner vers la ville low-tech ? « La notion de ville low-tech suscite de l’intérêt. De nombreux acteurs institutionnels de la ville se rendent compte que les solutions pour la ville de demain doivent être sobres, prendre en compte l’humain, les solutions robustes, réparables et durables plutôt que de poursuivre dans le tout technologique », répond l’ingénieur.  Pour ce dernier « la low-tech demeure avant tout une démarche plutôt qu’un ensemble de solutions clef en main. ».
 
Pour réussir la ville de demain, l’auteur invite les habitants à réfléchir, plutôt que subir, en s’impliquant notamment dans la vie politique et sociale. « Ils peuvent s’intéresser aux projets qui sortent et qui ne sortent pas autour d’eux, s’impliquer dans les enquêtes publiques, dans les révisions des plans locaux d’urbanisme. Tout ça est aussi une trajectoire collective ». Pour Philippe BIHOUIX, les élus sont face à des injonctions contradictoires. « Si on veut qu’ils aillent vers des décisions courageuses, il faut aussi les soutenir, pas seulement les critiquer !  Il ne faut pas que les citoyens soient juste là à râler quand cela ne les arrange pas puis à ne pas regarder ce qui se passe le reste du temps ». 
 
Pour lire l'intégralité de l’interview de Philippe BIHOUIX, dans GoodPlanet Mag, cliquez ICI





              

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