Maîtriser l’essentiel. Lâcher le reste. Performer dans l’incertain.


Rédigé par JEAN ROTTNER le Jeudi 3 Avril 2025 à 11:32

La nécessité d’être en « maîtrise permanente ». Maîtriser son quotidien pour se rassurer mais surtout pour être fiable dans sa vie personnelle et précis dans son engagement professionnel.


Cela m’a renvoyé à mes propres doutes et incertitudes. Un flash-back sur mon passé médical et public où tout maîtriser n’est jamais possible et provoque trop souvent une frustration « insupportable ».

Très sincèrement, ce besoin de dominer notre vie est intuitif. Notre cerveau déteste l’ambiguïté. Il exprime le besoin de « clôturer » une incertitude. Attendre une réponse claire, une stratégie bien définie ou une maîtrise totale d’un sujet ou d’une situation apparaît a priori comme normal.

Mais c’est souvent une illusion rassurante, pas une réalité opérationnelle. Même les professionnels les plus aguerris peuvent tomber dans l’illusion que l’expertise ou l’expérience permet d’éliminer l’incertitude. C’est un mirage mental, pas un gage de performance.

 

N’est-ce pas finalement un faux sentiment de devoir tout dominer ?

Plus on y cède, plus se renforce l’idée, chez chacun d’entre nous, que ne pas savoir représente un danger. C’est un biais auto-renforcé qui nous empêche de nous rendre compte que ce que nous considérons comme une imperfection peut être une arme. Et parfois, cette imperfection est simplement la marque de la réalité, pas une erreur de pilotage.

Est-il ainsi possible d’accepter volontairement un domaine où l’on ne peut pas tout savoir et se le signaler régulièrement ? En élargissant ce regard, on réalise que ce n’est pas un aveu de faiblesse mais une stratégie d’adaptation.

Je décide de ne pas maîtriser l’ensemble de la géopolitique mondiale (je grossis volontairement le trait) et c’est comme cela que l’on peut créer ce que l’on appelle une zone cognitive « non maîtrisée mais sécurisée ». Le cerveau apprend à ne pas dominer totalement. Cela ne représente plus un danger. La pression de tout contrôler diminue même dans les domaines qui comptent vraiment. On se reprogramme à tolérer l’incertitude sans perte de performance. Cela amène à être plus focus sur ce qui compte vraiment et paradoxalement à disposer d’une meilleure maîtrise globale.

 

Agir sans tout contrôler : le paradoxe des maîtres

Dans le bushido (voie du guerrier japonais), les maîtres parlent de “Mushin no shin”, littéralement “l’esprit sans esprit”.

 

Ce n’est pas le vide, c’est l’absence de volonté de tout contrôler parce que dans le combat réel, réfléchir c’est mourir.

Le guerrier s’entraîne à la maîtrise technique, mais au moment critique, il lâche la volonté de tout diriger. Il agit par intuition affinée, pas par contrôle.

Il réagit ainsi plus vite, plus justement et avec moins de stress car il ne lutte pas contre l’imprévisible.

C’est contre-intuitif, mais les plus grands maîtres ne cherchent plus la maîtrise totale, ils cherchent la maîtrise de soi dans l’imperfection. Pas dans l’oubli des règles. Dans l’acceptation lucide de ce qui dépasse leur volonté.

 

Faire de l’imparfait assumé un levier de puissance

J’ai pratiqué la médecine d’urgence et appris « l’art » de la gestion de crise. Dans ce domaine, la définition d’une crise est variable. Elle peut s’incarner dans un service quotidiennement saturé comme dans une catastrophe impliquant de nombreuses victimes. École de la vie, gérer une crise s’apprend et implique un travail d’équipe, un apprentissage personnel et une intelligence émotionnelle dans le management et le leadership

Le besoin de vouloir tout maîtriser peut empirer la situation. Attendre 100 % des informations, c’est souvent prendre un coup de retard.

Le temps perdu à chercher la certitude est plus coûteux que le risque d’erreur partielle. On entre ici dans un biais d’optimisation : rechercher la perfection avant d’agir, quitte à rater le moment.

La « suffisance tactique » revient à considérer qu’avec environ 70 % des informations, le gain de temps, de réactivité et de contrôle de la situation vient surpasser les erreurs résiduelles. Ce n’est pas de la négligence : c’est une stratégie adaptative consciente.

 

Agir fort avec l’incomplet.

La médecine d’urgence et de catastrophe est un terrain des plus intenses de lâcher-prise maîtrisé.Le temps, l’incertitude, les facteurs humains jouent contre nous et peuvent coûter des vies.

L’excès de maîtrise : un piège cognitif

Lors de l’attentat du 11 septembre 2001, les hôpitaux de New York ont vécu un cas extrême.

Certains médecins urgentistes ont commis ce qu’on appelle rétrospectivement un “overtriage cognitif”. Ils ont essayé d’évaluer et de maîtriser chaque cas avec précision, même sous pression… Les résultats ont été sans appel : retards de décision, saturation mentale et perte de contrôle global.

Lors d’une catastrophe de telle ampleur, il ne faut plus chercher à tout voir, mais filtrer brutalement :

 

  • Qui va mourir si un geste immédiat n’est pas réalisé ?
  • Qui peut attendre ?
  • Qui est perdu, et il faut le laisser.
 

C’est dur, contre-intuitif, mais ce tri radical libère la capacité mentale, permet de sauver le plus de vies possibles sans se perdre dans la maîtrise impossible de tout.

Naviguer avec notre incertitude humaine en gardant lucidité et impact devient alors un objectif.

Manager les émotions est un facteur majeur supplémentaire.

Les médecins urgentistes, comme les managers en crise, développent une forme d’intelligence émotionnelle “de haute intensité”, très différente de la “bienveillance soft” souvent mise en avant. Elle n’est pas moins humaine : elle est plus confrontée.

 

Maîtrise de soi et lâcher-prise stratégique : clefs d’un management renouvelé

Face à une urgence médicale, dans la gestion d’une catastrophe comme dans le management d’une entreprise, l’objectif est de maintenir la performance humaine sous pression, sans sombrer dans le chaos émotionnel ni l’hyper-contrôle inefficace.

Clé 1 : Maîtrise de soi émotionnelle = pilier d’un leadership moderne

Dans les nouvelles formes de management (équipe hybride, télétravail, innovation rapide), l’incertitude est permanente.

Le manager qui cherche à tout maîtriser étouffe son équipe et s’effondrera à terme.

Celui qui cultive la régulation émotionnelle (savoir rester calme, décider avec 70 % d’infos, trier l’essentiel), devient un point d’ancrage. Il devient aussi un exemple de lucidité partagée, non pas un guide omniscient, mais un stabilisateur.

 

  • Médecin en urgence : “Je garde la tête froide, car si je panique, les autres meurent.”
  • Manager en tension : “Je régule mes émotions, car si je perds pied, l’équipe décroche.”
 

 

Clé 2 : Lâcher-prise stratégique = booster d’autonomie

Les nouveaux modèles de management valorisent l’autonomie, la confiance, la créativité.

Cela implique de ne pas tout maîtriser soi-même, mais de définir une intention claire (comme un directeur des secours médicaux) et laisser l’équipe naviguer l’incertitude.

L’intelligence émotionnelle, c’est aussi la capacité à accepter l’imperfection de l’autre, sans perdre l’exigence.

Comme en médecine de catastrophe : on ne peut pas tout faire, ni tout contrôler.

Faire confiance aux compétences de chaque membre de l’équipe, doser son implication, veiller sans asphyxier, donner des ordres simples permet une sérénité et une efficacité collective.

Mais ne jamais perdre de vue l’excellence s’impose : lutter pour préserver la vie — ou préserver le cap, avec discernement et humanité.

 

Les meilleurs managers ne sont pas ceux qui savent tout. Ce sont ceux qui savent qu’ils ne peuvent pas tout savoir.

 

  • Ils gardent la tête froide quand l’équipe s’agite.
  • Ils trient les urgences du reste.
  • Ils acceptent l’incertitude comme une composante normale du quotidien.
 

Comme les médecins en crise, ils développent une intelligence émotionnelle de haute intensité :

Pas “soft”, pas “cool”, mais solide. Ancrée. Lucide.




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