Le télétravail : une excellente raison d’éliminer les seniors ?


Rédigé par Jean-Marie CARRARA le Mardi 2 Mars 2021 à 21:29

La généralisation du télétravail avec la pandémie de COVID a mis en place un nouveau mode d’organisation du travail, de nouvelles relations entre employés allant parfois jusqu’à rebattre la pyramide hiérarchique. N’est-ce pas là, l’occasion rêvée pour les entreprises de se restructurer et de se séparer des employés les plus âgés d’autant qu’ils sont aussi les plus coûteux ?


Dans les locaux de l'entreprise ou en télétravail, les seniors restent un atout. Le travail à distance ne doit donc pas un moyen de les évincer (Photo Adobe Stock)
La préparation insuffisante des entreprises à faire face à l’arrivée brutale du télétravail et le manque de formation des personnels pour assurer la continuité de leurs tâches et la pérennité de leurs services a créé un réel malaise chez les personnels, notamment les plus âgés.

La moins bonne connaissance des nouveaux outils de communication utilisés en télétravail a pu faire croire aux entreprises que leurs salariés dépassant la cinquantaine pouvaient rencontrer des difficultés à ce changement et qu’il n’était pas rentable d’investir dans leur formation pour leur permettre de combler leurs manques.

Devenus des boulets, n’est-il pas plus judicieux pour les entreprises de s’en séparer ? Cette analyse est assurément erronée, car elle omet l’expérience professionnelle acquise par les seniors et leur bonne connaissance du fonctionnement, interne et externe, de l’entreprise.

Cette connaissance, longue à acquérir, compense largement une moins grande habilité technique pouvant être facilement et rapidement comblée par la formation.
 

Une crainte : l’évolution inadaptée des tâches

La vraie question que se pose les seniors concerne l’évolution des tâches qu’ils auront à effectuer.

Les multiples transformations organisationnelles vécues au cours de leur carrière leur ont souvent montré que les changements successifs étaient le plus souvent à l’origine d’une désorganisation, au moins momentanée, de l’entreprise que le contraire et ces changements étaient toujours à l’origine d’une perte importante, et parfois même définitive, de leurs repères.

Leurs tâches évoluaient sans pour autant améliorer la qualité de leurs produits, de leurs services ou de leur travail.  Leur efficacité et celle de leurs entreprises étaient rarement meilleures.

C’est d’ailleurs pour ces raisons et non pour un rejet de principe des technologies nouvelles que les seniors sont le moins enclins aux changements organisationnels proposés et qu’ils s’y opposent généralement.

En revanche, lorsqu’une perspective claire leur est apportée au préalable quant à l’évolution, à l’organisation et à l’amélioration de leurs tâches, leur engagement est souvent plus fort que celui de leurs collègues juniors.

Trop souvent, cette phase explicative, pourtant essentielle, est escamotée d’où, l’erreur d’analyse qui en découle et qui pousse les entreprises vers l’allègement de leurs seniors. 
 

Un frein psychologique

Aux aspects évoqués s’ajoutent l’aspect psychologique qui se traduit, chez les seniors, par la crainte de perdre leur emploi.

Pour les raisons évoquées antérieurement, ils sentent qu’ils seraient les premiers concernés par les plans sociaux qui ne manqueront pas de se succéder si l’activité normale tarde à reprendre.

Cette crainte est d’autant plus marquée que la position hiérarchique des seniors est plus élevée que celle des juniors et qu’à ce titre, la légitimité de leur rang les bloquent à demander de l’aide à leurs subordonnés car elle signerait leur incapacité même si celle-ci ne porte que sur un point de faiblesse mineur, largement compensé par l’expérience du métier et la connaissance de l’entreprise, éléments longs à acquérir et porteurs d’une valeur ajoutée dont l’importance est sans commune mesure avec la carence technologique dont ils souffrent et qui peut être facilement et rapidement comblée.
 

Une opportunité exceptionnelle

Loin de représenter une perte de chance pour l’entreprise, la formation des seniors aux évolutions des outils techniques, notamment de communication, constitue une réelle opportunité pour l’entreprise.

La création de groupes intergénérationnels enrichirait les savoirs de tous les employés et surtout leur cohésion, fortement mise à mal par le télétravail qui isole les employés entre eux. 

Alors, même si les entreprises peuvent être enclines à profiter de la généralisation du télétravail pour ajuster leur personnel et se séparer des plus âgés au prétexte qu’ils ne peuvent pas s’adapter à cette nouvelle organisation, une telle action constituerait une erreur stratégique qui obèrerait le futur des entreprises en leur faisant perdre une grande partie des savoir-faire et des compétence acquis au fil du temps par les seniors de l’entreprise.

Au surplus, ces licenciements en masse enverraient au chômage une population difficile à repositionner rapidement sur le marché du travail alors qu’une partie importante de cette population doit encore faire face à des charges de famille.

Pr. Jean-Marie Carrara
Université de Lille
Président de l’association Portières Ouvertes (www.portieres-ouvertes.org)





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