La Smart City : de quoi parlons-nous exactement ?


le Jeudi 31 Mars 2022 à 19:02

Selon Laurent LEHMANN, rédacteur du blog QUIDNOVI, pour parler de la Smart City, il faut d’abord se replacer dans le contexte. A juste titre, la ville dont on parle aujourd’hui et que l’on aimerait bien voir différente demain, concerne un lieu de vie, mais aussi d’activité industrielle et commerciale, de plus de la moitié de l’humanité. Mais qu’est vraiment une ville dite intelligente ? Laurent LEHMANN s’y est essayé avec brio, tellement bien que nous l’avons publié.


Photo d'archive / Lyon Confluences (© Y. Sourisseau)
Photo d'archive / Lyon Confluences (© Y. Sourisseau)
Un peu de contexte, de quoi parlons-nous ? La smart city est un mot-valise, il y a une difficulté à évoquer ce sujet, c’est un attrape-tout, un mot ombrelle. La ville concerne le lieu de vie de plus de la moitié de l’humanité, mais aussi des industries essentielles comme toutes celles qui assurent le transport et le traitement de l’eau, de l’électricité, le chauffage, nos déchets, la sécurité des biens et des personnes, et enfin nos déplacements. La simple évocation du mot « smart » nous met dans l’embarras, à la fois commun et imprécis. Si alternativement j‘écris en français, « la ville intelligente », comment entend-on le mot intelligence ? Dans un sens, anglo-saxon issu des métiers de la surveillance, intelligence service ou bien, plus riche et fleurissant ? 
 
C’est peu dire que la ville est depuis quelques mois très suspecte. Elle est devenue aux yeux des observateurs de l’urbanisation, le principal foyer d’infection du genre humain. Comment alors ne pas percevoir un décalage entre ce que nous ressentons comme étant toxique et dans le même temps continuer un inventaire des initiatives autour de choix technologiques, forcément vertueux, qui n’ont d’autre but que de confirmer et d’affirmer plus encore le fait urbain et technologique à l’échelle planétaire ? 
 
La ville n’est pas un corps ordonné. C’est tout l’inverse, dans leur majorité, ce sont des ensembles sociaux, physiques, topographiques, économiques et culturels qui se sont constitués avec le fruit d’une histoire, souvent très ancienne. Dès lors il semble vain de vouloir « penser » et prolonger ces systèmes complexes avec de nouveaux attributs intelligents. En d’autres termes les villes ne nous ont pas attendus, ni pour être, et moins encore pour adapter les nouvelles technologies, qui n’ont cessé d’exister et de se renouveler en suivant le fil des progrès techniques, mais qui l’ignorai ? 
 
Il existe un mouvement critique des effets de la « métropolisation » du monde qui se fait entendre, particulièrement durant cette période. C’est le cas de l’urbaniste Guillaume Faburel qui pour le compte de la Fondation de l’Écologie Politique, avec d’autres de ses collègues, remet en cause la croissance urbaine. Il est difficile de ne pas entendre leur argument et de prolonger avec eux une réflexion sur le sens que l’on veut bien donner à ce courant. 
 
Au milieu de ces préoccupations, il revient à la smart city de faire la démonstration de son utilité ou de sa nécessité. Inventé de toutes pièces au début des années 1990 par les géants américains des technologies de l’information, IBM, et CISCO en tête, ce courant a très vite su toucher les acteurs de la ville qui ont souhaité s’emparer sans attendre de ce potentiel technologique. 
 

Je veux vos données & Trends

L’essentiel du dispositif se concentre autour de la capture des données, là ou jusqu’alors, on n’en disposait pas. Il peut s’agir des déplacements de chacun et par tout moyen dans la ville, de la gestion des nombreux fluides qui asservissent les réseaux tels l’eau, l’électricité, les déchets, mais aussi l’activité de surveillance des usages et des usagers. 
 
Depuis le début de la crise sanitaire, nous suivons des méga-trends post covid. Si nous observons les prises de parole, les tendances observées s'accélèrent et les professionnels de la ville qui parlaient jusqu’à maintenant de la transition numérique parlent désormais de la transition climatique.  C'est certain qu’il y a entre les deux domaines, à la fois des zones d’intersection importante, par exemple la transition climatique et donc énergétique, ne se fera pas sans une infrastructure digitale forte. Mais il y a aussi des enseignements à tirer en termes de gouvernance, pour éviter de nous trouver dans dix ans, comme nous le sommes aujourd’hui, par exemple, avec une numérisation de nos usages, suspecte de ne pas respecter nos libertés individuelles. Pire encore, de rendre impossible la souveraineté de nos données, qui sont d’ores et déjà des réservoirs de savoirs et de connaissances stratégiques mises au service par exemple du machine learning. 

Marketing

Dans le même temps, relevons de façon critique que le champ sémantique des professionnels de la ville, n’est pas avare de slogans et de hashtags simplistes qui nous enferment rapidement dans un cercle... irrespirable. On use et on abuse de “la ville du quart d’heure”, la ville “résiliente” sans oublier “la ville mixte”. On sait pourtant depuis l’antiquité que les villes sont des lieux de rencontre, innovants et puissants, par définition denses dans lesquels se jouent des phénomènes de proximité, de centralité et par voie de conséquence d’attractivité. Bref la ville n’a pas attendu le marketing pour se transformer. C’est tout le sens de l’histoire, auquel nous attachons de l’importance pour nous aider à mieux anticiper les mouvements à venir.

Bureaux et télétravail

Une des conséquences de la crise sanitaire sur la ville, structurante, est l’accélération du télétravail qui a profondément changé notre perception du temps et de l'espace et cela a été un déclic majeur pour beaucoup de dirigeants et de salariés.  Si l’on peut faire la plupart de son travail en dehors du bureau, quelle est la justification de s'y rendre et d’y sacrifier deux heures de transport ? (Pour les résidents de la région parisienne) Rappelons qu’au mois de mai 2020 nous avions déjà effectué un calcul sur les ordres de grandeur en termes de mètres carrés de bureaux nécessaires, permettant d’imaginer l’empreinte immobilière future des bureaux. 
 
Fin 2019 il n'y avait en France 5 pour 100 des salariés pratiquant au moins un jour de télétravail. Trois mois plus tard pendant le confinement 1/3 des salariés pratiquez le télétravail à 100 pour 100.  Maintenant dans un retour à la normale on considère que 1/3 des salariés vont au moins pratiquer le télétravail un ou deux jours par semaine.  Cette transition brutale devrait avoir un impact sur les m² de bureau nécessaire, indépendamment de la démographie de l’emploi. On rappellera que la croissance de l’emploi tertiaire et l’impact sur le marché est déterminée par une combinaison de trois facteurs : la tertiarisation des activités économiques, le nombre d’entreprises et surtout d’établissements qui se créent et enfin, la création nette d’emplois. En conséquence avec ou sans télétravail ces facteurs continueront à faire progresser, naturellement, la demande de bureaux. Toutefois, CBRE conseil en immobilier d’entreprise et l’IEIF, avec plus de recul, ont annoncé que la demande de bureaux en nb de m2 occupés devrait diminuer de 15%, mais sur une période étalée sur 10 ans. C’est inédit et cela aura un impact sur le parc existant, mais aussi sur la programmation des opérations neuves.
 

Commerces

Pour les commerces, on peut s’attendre à une transition rapide vers d'autres concepts de magasins notamment dans les centres commerciaux. Il y a de la veille en cours avec des transpositions à imaginer. On peut certes parier sur une poursuite de la montée du e-commerce … mais on ne peut pas être certain que nous allons passer dans un avenir à 10 ans de 14% (moyenne Européenne en 2020) à 50% de e-commerce comme le connaît la Chine aujourd’hui. Mais cela reste un scénario à envisager. De façon générale, l'empreinte du commerce de ville se modifiera à nouveau, beaucoup de points de vente tendent à libérer de l’espace à l’intérieur de leurs murs pour aménager des espaces de stockage ou de « click and collect ».
 
Une filière dispersée et des compétences sur l’environnement et le climat qui reposent sur des expertises individuelles 
 
Avec ce faisceau d'éléments nouveaux et d'incertitudes, les acteurs de la ville en matière d'urbanisme et les investisseurs doivent prendre des décisions. On regrettera à ce sujet l'éparpillement des forces et des compétences. Chacun attendant que l’autre apporte une expertise sur la question environnementale ou sur une innovation rendue nécessaire.  Dans ce domaine le BTP qui est tout en amont non pas de la décision, mais de l'exécution et donc des préconisations manque globalement d'expertise (évidemment cela ne concerne pas nos majors du BTP) notamment sur les problématiques de développement durable. En conséquence, pour satisfaire aux exigences de communication du moment, beaucoup d’aménageurs ou d’investisseurs voir de promoteurs passent en aval dans leur cahier des charges des nouvelles contraintes parfois tout à fait irréalistes.  Ce qui peut entraîner une réelle déception en phase d'exécution. La chaîne de valeur Investisseur promoteur et BTP gagneraient à se consolider un peu plus.

Où habiter ?

Ce qui rend la question de la ville de demain passionnante c'est que les évolutions des usages sont rapides, mais l’urbanisme demeure quant à lui dans un temps long.
 
Nous avons assisté dès les premiers mois de la pandémie à une première vague de migration des familles parisiennes vers des villes de périphérie qui était déjà bien préparée pour faire valoir leur qualité de vie. À terme, ces choix de vie seront certainement validés par l'employeur qui laissera une certaine flexibilité pour le télétravail, en tout cas dans les grands groupes ensuite comme chaque année se posera la question à la rentrée des écoles et là-dessus la ville conserve de sérieux atouts. 
 

La Smart City : de quoi parlons-nous exactement ?
Laurent LEHMANN
Consultant pour l'industrie immobilière, marketing et innovations
https://www.lcquidnovi.com





              


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